Atelier de lecture du mardi 20 février 2024
« Christian de Chergé. Une théologie de l’espérance »
Christian Salenson
Editions Bayard, 2016.
Introduction : qui était Christian de Chergé ?
Sa vie, les expériences qui ont déterminé sa vocation : « Une théologie qu’il a écrite dans sa vie, avec des frères moines et des frères musulmans ». (Chapitres 1, 2 et 3)
Comme vous le savez sans doute, Christian de Chergé est l’un des moines de l’abbaye de Tibhirine, en Algérie, qui ont été enlevés, puis assassinés en 1996. Il a été prieur de la communauté à partir de 1984.
La béatification de Christian de Chergé et de ses frères, ainsi que de Pierre Claverie et les autres religieux et religieuses en Algérie, le 8 décembre 2018, apporte un éclairage particulier sur leurs vies.
Pour Christian Salenson, ils ouvrent un temps nouveau pour l’Église, dans un contexte mondialisé, pour que l’Église mette en œuvre ce qu’elle a dit au moment du concile. Ils sont des saints d’aujourd’hui, des saints « post-conciliaires ». En eux, l’Église reconnaît comme un chemin de sainteté de vivre sa vie chrétienne dans un dialogue avec les musulmans, avec l’islam. Voilà que l’Église nous dit : la rencontre de l’autre, différent par sa culture, par sa religion, si vous le vivez de l’intérieur, de l’intérieur de la foi, c’est un vrai chemin de sainteté.
Dans les premiers chapitres de son livre, Christian Salenson nous parle des conditions de vie de Christian de Chergé, car elles nous aident à comprendre sa pensée.
Christian de Chergé a vécu une partie de sa petite enfance en Algérie, avec ses parents, pendant la guerre de 1945, puis en tant qu’appelé, de 1959 à 1961, alors qu’il était séminariste. Il a été marqué par ces années.
Enfant, quand il s’étonnait de voir comment priaient les musulmans, sa mère lui a appris à respecter cette prière des musulmans : « Pour la première fois, j’ai vu des hommes prier autrement que mes pères. J’avais cinq ans… Je garde une profonde reconnaissance à ma mère qui nous a appris le respect de la droiture et des attitudes de cette prière musulmane. Ils prient Dieu, disait ma mère. Ainsi, j’ai toujours su que le Dieu de l’islam et le Dieu de Jésus-Christ ne font pas nombre.»
Puis, en tant qu’appelé en Algérie et séminariste, il a été marqué par son amitié avec Mohammed, qui a perdu sa vie pour le sauver. Mohammed, père de famille et garde champêtre, était un homme simple et un musulman profondément croyant. Leurs nombreux échanges auront une importance décisive pour lui. Une réelle amitié se noue entre les deux hommes : « Notre dialogue était celui d’une amitié paisible et confiante et qui avait Dieu pour horizon, par-dessus la mêlée. » Lors d’un accrochage, Mohammed intervient pour que son ami ne soit pas inquiété, faisant valoir l’attachement de celui-ci à l’Algérie et aux musulmans. Christian échappe aux agresseurs mais le lendemain on retrouve Mohammed assassiné au bord de son puits. L’histoire de Tibhirine commence là.
L’histoire de Tibhirine commence par un homme qui, par amitié pour Christian de Chergé, l’a protégé et en est mort. C’est un grand ébranlement pour Christian de Chergé qui est jeune encore, il a 22 ans. Christian dira plus tard que Mohammed a donné sa vie comme le Christ. Le don de la vie de Mohamed lui est signifié en chaque eucharistie. La vie de Christian en sera complétement transformée. Il va recevoir là sa vocation à aller vivre en Algérie. « C’est là, dit-il, que m’a été donné le gage d’amour le plus grand. »
Après son noviciat à l’abbaye Notre-Dame d’Aiguebelle, dans la Drôme, Christian de Chergé arrive au monastère Notre-Dame de l’Atlas en 1971. Il y sera prieur à partir de 1984.
Christian de Chergé était avant tout un moine. Il n’a pas écrit de traité de théologie. Les écrits auxquels nous avons accès sont ses homélies, ses causeries, les retraites et les conférences qu’íl a données. Sa pensée s’élabore à partir des actes de la vie monastique. On peut parler d’une théologie en actes qui se vérifie au fur et à mesure dans la réalité de la vie. Il y a une proximité, une connivence entre la vie monastique et le dialogue interreligieux. Le Dialogue Interreligieux Monastique (DIM) existe depuis 40 ans. ( Le DIM est une organisation monastique internationale qui encourage et soutient le dialogue, en particulier le dialogue au niveau de l’expérience et de la pratique religieuse, entre des moines et des moniales chrétiens et des adeptes d’autres religions.)
Le discours du pape Jean-Paul II, prononcé au cours d’une audience donnée à des moines bouddhistes zen entourés de moines bénédictins, nous éclaire sur ce DIM : « Votre contribution spécifique au dialogue interreligieux ne consiste pas tellement à entretenir un dialogue explicite, car votre vie est d’abord vouée au silence, à la prière et au témoignage de la vie communautaire, mais vous pouvez faire beaucoup par votre hospitalité pour promouvoir une rencontre spirituelle en profondeur. En ouvrant vos maisons et votre cœur, comme vous l’avez fait ces jours-ci, vous êtes bien dans la tradition de votre père spirituel, saint Benoît. »
L’ Algérie a marqué la vie et la pensée du frère Christian. L’Algérie de cette époque est un pays traumatisé par la colonisation. Les moines ne sont pas présents en tant que colons, ils y sont accueillis. Ils n’assistent pas la population mais travaillent en coopérative avec certains de leurs voisins. Les moines sont en minorité dans un pays où ils sont accueillis, cela aussi est important dans l’élaboration de la pensée de C. de Chergé. On peut penser que les rencontres vécues avec les voisins musulmans des moines sont marquées par ce sentiment d’être demandeurs d’hospitalité, dans un pays blessé, une place pas facile, inconfortable.
Les moines de Tibhirine étaient en situation précaire. Précarité en tant que citoyens mais aussi vis-à-vis de l’Eglise d’Algérie. Leurs cartes de résidents doivent être renouvelées régulièrement. Et il a été question à plusieurs reprises de fermer l’abbaye. Leur monastère est fragile, perdu dans l’Atlas. Le rayonnement de cette communauté est impressionnant si l’on pense à cette fragilité. C. Salenson rapproche cette précarité de celle du christianisme européen aujourd’hui. Ce paradoxe nous donne à penser, car cette précarité n’est pas indifférente à la fécondité de cette petite communauté. Une Eglise qui se sait précaire ne risque pas l’arrogance, le sentiment de puissance, elle sait se mettre à l’écoute des hommes qu’elle rencontre.
Notre Dame de L’Atlas était un peu le poumon du diocèse d’Alger. On peut considérer que la théologie de C. de Chergé n’est pas seulement celle d’un homme, ni d’une communauté monastique, mais aussi celle d’une Eglise locale. C. Salenson nous fait remarquer que nous avons à comprendre comment et dans quelle mesure une Eglise locale peut être un acteur théologique.
Christian de Chergé était-il un théologien ? Il ne se considère pas comme un théologien. Il se méfie du langage de la théologie. Il ne veut pas quitter le terrain du dialogue de vie avec les musulmans. Il redoute l’enfermement dans des concepts ou des théories qui pourraient déformer ce que l’expérience spirituelle lui permet d’entrevoir.
Il ne sait pas quelle est la place de l’islam dans le dessein de Dieu, c’est l’expérience du dialogue qui lui permet de parler de l’islam. Il accepte de se laisser conduire. Il dit qu’il se met en attitude de dialogue pour laisser libre la possibilité de ce que Dieu entend faire vivre aux uns et aux autres.
Christian de Chergé est un mystique. On ne peut pas séparer sa pensée de l’expérience spirituelle dans laquelle elle se fonde. Une expérience mystique qui a son origine dans quelques rencontres fondatrices. Trois évènements, trois rencontres, ont marqué profondément son parcours :
Sa rencontre avec Mohammed qui a vraiment déterminé sa vocation. On peut dire que C de Chergé a reçu sa vocation à être moine en Algérie d’un musulman.
La rencontre avec l’émir Sayah Attiyah la veille de Noël 1993 dont nous reparlerons lors de la rencontre sur la fraternité.
Une prière partagée à la chapelle avec un musulman dont il parlera comme « le frère d’une nuit » dont nous reparlerons lors de la rencontre sur le thème « Priants parmi d’autres priants ».
Pour conclure, j’aimerais que nous nous arrêtions un peu sur deux convictions essentielles de la pensée de Christian de Chergé :
La première est que Dieu se révèle au cœur de la rencontre de l’autre, le mystère de la rencontre, qui est au cœur de la vie des hommes, donne à l’Eglise le sens de sa vocation : Dieu se révèle dans les rencontres qu’il suscite. Pour lui la rencontre de l’autre est une promesse, la pluralité religieuse est une chance et Dieu n’est pas étranger à cette pluralité. Christian de Chergé dira souvent « se mettre en attitude de rencontre, de dialogue, et laisser l’Esprit Saint agir ». C’est une posture qui peut orienter toute une vie : faire confiance au mystère de la rencontre de l’autre, être à l’écoute de ce que cette rencontre va nous révéler de l’Esprit. C’est être en attente des richesses que l’autre a à nous apporter ; être en manque de l’autre, dira-t-il.
La deuxième de ces convictions est que le fondement du dialogue n’est pas d’abord pour lui d’œuvrer pour la coexistence et la paix, même si c’est important. Le réel fondement du dialogue pour lui, est l’espérance d’une unité des hommes dans le cœur du Père. Il disait : « Nous sommes ce peuple en marche entre ciel et terre, s’émerveillant de discerner ce devenir de communion dont l’Esprit Saint tisse la trame entre tous les hommes.»
C’est cette espérance que l’on retrouve magnifiquement exprimée dans son testament. « Voici que je pourrai, s’il plaît à Dieu, plonger mon regard dans celui du Père pour contempler avec lui ses enfants de l’Islam tels qu’il les voit, tout illuminés de la gloire du Christ… ». Ceci me semble très important : garder à l’esprit que si nous dialoguons entre croyants et si cela est essentiel, ce n’est pas d’abord une œuvre sociale ou politique, c’est parce que nous nous savons tous attendus en frères aimés du Père.
Prochaines rencontres :
Mercredi 17 Avril. La communion des saints et la communauté ecclésiale : « L’Église visible est la communion des saints qui s’incarne en communauté. » ( Chapitre 8)
Mercredi 15 mai. Conférence de Jean-Jacques Perennès : Christian de Chergé et la communauté de Tibhirine.
Dates à définir :
La mission de l’Église éclairée par la Visitation : « La mission ne naît pas d’un surplus que nous aurions à communiquer aux autres, elle naît d’un manque de l’autre.» (Chapitre 11)
La fraternité : « J’étais le gardien de mes frères mais aussi de celui qui devait pouvoir découvrir en lui autre chose que ce qu’il était devenu.» ( Chapitre 13)
Priants parmi d’autres priants : « L’Église, appelée à habiter son ministère d’intercession et de louange en communion avec tous les croyants qui, sur la surface de la terre, vivent de la prière.» (Chapitre 14)