Théme de l'année : Le dialogue interreligieux

1. Une démarche qui interroge et invite à un chemin vers l’autre.

2. L’histoire de la rencontre des religions – la pensée de l’Église

3.  Les sources évangélique

4. Quelques balises pour la route

5. Christian de Chergé, un grand témoindu dialogue

1. Une démarche qui interroge et invite à un chemin vers l’autre.

« Que l’autre, que tous les autres soient la passion et la blessure par lesquelles Dieu pourra faire irruption dans les forteresses de notre suffisance pour y faire naître une humanité nouvelle et fraternelle » 1

Quel est le dialogue interreligieux auquel nous invitent tous les papes depuis Paul VI ? Est-il réservé aux intellectuels, ou bien concerne-t-il seulement les chrétiens qui vivent avec des croyants d’autres traditions religieuses ? Est-il dangereux pour notre foi ? Risque -t-il de nous éloigner de la foi ? Est-ce qu’alors toutes les religions se valent ?

La pluralité culturelle et religieuse de notre société pose plus vivement aujourd’hui ces questions. Pourrait-elle être une chance pour notre foi ? Cette diversité est-elle étrangère au dessein de Dieu ?

Comment comprendre cette injonction au dialogue et l’annonce que nous demande l’Evangile : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit » ( Mt 28,19) ?

L’Eglise s’est engagée résolument dans cette voie du dialogue, « dialogue dont l’origine transcendante se trouve dans l’intention même de Dieu », affirmait Paul VI en 1964 (Encyclique Ecclesiam Suam).

Pour répondre à ces questions et comprendre le dialogue auquel l’Eglise nous invite, nous devrons chercher dans les paroles des papes et du magistère, puis dans l’Ecriture quels en sont les fondements. Les témoins qui vivent ou ont vécu ce dialogue, ailleurs, mais aussi plus proche de nous, nous éclaireront aussi, par leur expérience concrète.

Cette petite enquête est une invitation à changer notre regard, partir à la découverte, dans la confiance que c’est Dieu lui-même qui se révèle dans la rencontre de l’autre, et que l’Esprit nous précède chez lui.

Nous verrons dans quelle mesure cette démarche peut nous rejoindre dans notre quotidien de croyants, comment elle peut façonner notre attitude de chrétiens dans ce monde.

Sur ce chemin, nous devrons garder à l’esprit que le dialogue s’enracine dans la rencontre toute simple, d’homme à homme. L’hospitalité y est essentielle, hospitalité offerte, bien sûr, mais avant tout l’hospitalité acceptée. La rencontre doit être absolument, totalement gratuite et désintéressée, et lorsque nous rencontrons des croyants, n’oublions pas que la foi de l’autre est une « terre sacrée », et comme Moïse, nous devons ôter nos sandales avant de l’approcher.

Ecoutons le cardinal Jean-Marie Aveline : « Je dois apprendre à respecter les chemins des autres vers Dieu, parce que je confesse qu’ils sont des réponses au chemin que Dieu a fait vers eux. […] ce qui est le plus important, ce ne sont pas les chemins des hommes vers Dieu, ce sont les chemins de Dieu vers les hommes. » (Saint-Jacut-de-la-Mer, 2009).

Il est de notre responsabilité de savoir nous situer comme croyants dans ce monde, et de nous poser la question du rôle des chrétiens vis-à-vis des membres d’autres religions. Ce modeste éclairage sur le dialogue interreligieux que le « Mouezh » vous propose cette année sera une invitation à cette ouverture du dialogue, car : « Si les chrétiens entretiennent une telle ouverture, […], leur foi gagnera de nouvelles dimensions, tandis qu’ils découvriront la présence agissante du mystère de Jésus-Christ au-delà des frontières visibles de l’Eglise et du bercail chrétien ». 2

1 Pierre Claverie, Humanité plurielle, p 285, éd. du Cerf, 2008.
2 Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux, Dialogue et annonce, n°50, 1991.

2. L’histoire de la rencontre des religions - la pensée de l’Église

 

 

« La conversion de l’Eglise inaugurée au concile Vatican II appelle chaque chrétien à entrer dans une autre vision du monde, du dessein de Dieu sur l’humanité, de la place des religions, de la religion chrétienne »1

L’histoire de la rencontre des religions est celle d’un retournement majeur. Comment l’Eglise est-elle passée de l’adage « Hors de l’Eglise, point de salut » (IIIeme siècle), à la rencontre d’Assise ?

Il y a eu dans l’histoire, des témoignages de rencontres fraternelles entre croyants de religions différentes. La rencontre pacifique et bienveillante de François d’Assise et du sultan Al-Kâmil en Egypte en 1219 en est une page marquante. Au coeur de la cinquième croisade, François est allé à la rencontre du sultan au nom de Dieu, avec une grande humilité et vérité. Beaucoup plus tard (fin XIXeme siècle), des pionniers vont engager toute leur vie dans ce dialogue. Leur expérience et leur pensée va préparer ce tournant du concile. Nous reviendrons au cours de cette année sur le parcours de certains d’entre eux.

Le lien de l’Eglise à la tradition juive aura aussi un rôle essentiel. Ce dialogue originel avec la foi juive est intrinsèquement lié àl’ouverture aux autres religions.

Paul VI en 1964, est le premier à parler de dialogue. Avec l’encyclique Ecclesiam Suam, il nous livre une magnifique charte dudialogue interreligieux fondé dans le dialogue entre Dieu et l’humanité. Il a vocation à être un dialogue de salut : « L’Eglise doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L’Eglise se fait parole ; L’Eglise se fait message ; L’Eglise se fait conversation » (E.S.67).

Le Concile Vatican II marque un tournant dans la pensée de ces relations interreligieuses. Dans ses orientations, le pape Jean XXIII souhaitait que le concile « travaille à ce que l’annonce du salut soit accueillie plus favorablement par les hommes et prépare […] la voie menant à l’unité du genre humain ».

La déclaration Nostra Aetate, texte court mais significatif, affirme l’unité du dessein de Dieu pour les hommes : « Tous les peuples forment en effet une seule communauté : ils ont une seule origine […], ils ont aussi une seule fin dernière, Dieu, dont les témoignages de bonté et les desseins de salut s’étendent à tous » (N.A.1). Le dialogue est également fondé sur l’affirmation de l’action de l’Esprit à l’extérieur des frontières visibles de l’Eglise : « L’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal » (Gaudium et Spes 22 ,5). L’Esprit est à l’œuvre chez tous les hommes, mais aussi dans l’histoire, les sociétés et les religions : « Le dessein salvifique de Dieu se manifeste également par les actes religieux par lesquels, de diverses manières, les hommes cherchent Dieu » (Ad Gentes 3). Les pères conciliaires posent les bases d’un dialogue interreligieux qui est un choix vital pour l’Eglise et qui fait partie intégrante de sa mission.

La rencontre interreligieuse d’Assise en 1986, à l’initiative du pape Jean-Paul II a été une mise en œuvre concrète de ce dialogue. Les représentants des religions du monde étaient invités à une journée de jeûne, prière et pèlerinage pour la paix. « Nous irons à Assise, lieu que Saint François a transformé en un lieu de fraternité universelle » (Jean-Paul II). A Assise, l’unité de la famille humaine affirmée dans Nostra Aetate s’est incarnée. De cette unité, l’Eglise est « le signe et le sacrement » (Lumen Gentium 1). Rappelons-nous les paroles de Jean-Paul II sur le sens de cet évènement :

« Voyons en ceci une anticipation de ce que Dieu voudrait voir se réaliser dans l’histoire de l’humanité : un cheminement fraternel dans lequel nous nous accompagnons mutuellement vers un objectif transcendant qu’il prépare pour nous » 3.

Dans ce dialogue vécu en un cheminement fraternel, l’Esprit nous précède toujours.
Christian Salenson, Nostra Aetate : l’Eglise en conversion, Chemins de Dialogue n°48, p24.
Nostra Aetate, L’Eglise et les religions non chrétiennes, Vatican II, 1965.
Jean-Paul II, Discours aux cardinaux et à la Curie. La situation du monde et l’esprit d’Assise, décembre 1986.

3. Les sources évangélique

 

D’autres s’abreuvent à d’autres sources. Pour nous, cette source de dignité humaine et de fraternité se trouve dans l’Evangile de JésusChrist. C’est de là que surgit […] le primat donné à la relation, à la rencontre avec le mystère sacré de l’autre, à la communion universelle avec l’humanité toute entière comme vocation de tous. 1

Le dialogue auquel nous invite l’Eglise depuis Vatican II n’est pas dicté par un souci d’adaptation au pluralisme de la société, il n’est pas non plus une bonne œuvre de l’Eglise. C’est une conviction enracinée dans l’Evangile lui-même.

 

L’Evangile de la Visitation (Luc 1, 39-56) est souvent considéré comme la clé de lecture de la rencontre des religions. La Visitation est l’histoire d’une rencontre : Marie qui vient de recevoir de l’ange une bonne nouvelle, cet enfant qui va naître, part en hâte chez sacousine Elisabeth. Elle va aider Elisabeth. Marie ne doit pas savoir comment annoncer à sa cousine la nouvelle qu’elle porte. Elle salue simplement Elisabeth, la paix soit avec toi, et à ce moment, la rencontre se fait entre l’enfant que porte Elisabeth et celui que porte Marie. C’est alors qu’Elisabeth va avoir une parole prophétique. La salutation de Marie a parlé à Elisabeth et à son enfant. Par le tressaillement de Jean-Baptiste, Marie s’entend dire la confirmation de ce que lui a dit Gabriel : elle est la mère du Seigneur. Marie et Elisabeth sont l’une pour l’autre les intermédiaires de la révélation que Dieu leur destine.

Dans les rencontres simples et vraies, Dieu se révèle. Nous sommes alors témoins des merveilles que le Seigneur accomplit en l’autre, comme Elisabeth et Marie. Nous sommes invités, nous aussi, à nous mettre en route pour rencontrer l’autre, sans attendre de savoir comment faire, dans la volonté de le rejoindre. La mission ne naît pas d’un surplus que nous aurions à communiquer aux autres, elle naît d’un manque de l’autre. 2

Jésus se montre accueillant à tous ceux qu’il rencontre, sans conditions, sans discrimination. Il s’agit souvent de personnes en marge, méprisées. Jésus sait communiquer le don de Dieu, mais aussi l’accueillir et le reconnaître où qu’il soit, y compris chez les étrangers, et en rendre grâce : Jésus fut dans l’admiration et dit à ceux qui le suivaient : en vérité je vous le dis, chez personne je n’ai trouvé une telle foi en Israël (Matthieu 8, 10). Aujourd’hui, nous lui sommes fidèles lorsque nous rendons grâce pour le don de Dieu à l’œuvre chez les hommes qui suivent d’autres chemins que celui de la foi chrétienne.

Lorsque Jésus envoie en mission les soixante-douze, dans l’Evangile de Luc (10, 1-12), il affirme « la moisson est abondante ». Le texte détaille ce qu’il leur est demandé : marcher devant Jésus lui-même, demander l’hospitalité et être accueillis dans les maisons. Ils doivent arriver démunis, sans rien emporter, dans le besoin d’être accueillis. Jésus envoie ses disciples se risquer à l’accueil par l’autre. Il leur demande de prendre le temps, manger et boire ce qu’on leur offre, se faire proches. Et dire que le Royaume s’est approché. Reconnaître explicitement le Royaume, n’est-ce pas découvrir, discerner l’Esprit déjà à l’œuvre chez ceux que l’on rencontre ? La moisson, c’est lorsque nous repérons les traces de l’Esprit à l’œuvre autour de nous. Notre travail est d’abord et surtout de moissonner ce que le Verbe a semé.3 Nous avons ici une feuille de route qui nous appelle à vivre la rencontre de l’autre à la manière des disciples, chacune des rencontres de nos vies, celle de l’autre croyant aussi. Et Jésus nous l’affirme, la moisson est déjà là, elle est abondante. Cette page d’Evangile est un éclairage précieux pour considérer la mission du chrétien aujourd’hui et son rôle vis-à-vis des membres d’autres religions.

Que notre cœur s’ouvre à tous les peuples et nations de la terre, pour reconnaître le bien et la beauté que tu as semés en chacun, pour forger des liens d’unité, des projets communs, des espérances partagées. (Pape François à Assise, 3 octobre 2020).

Pape François, Fratelli tutti. Tous frères. Lettre encyclique sur la fraternité et l’amitié sociale, Editions Artège, 2020, p 200.
2 Christian Salenson, Christian de Chergé. Une théologie de l’espérance Bayard, 2009, p 195.
3 Gwénolé Jeusset, Assise ou Lépante ? Le défi de la rencontre, Editions franciscaines, 2014, p 223.

4. Quelques balises pour la route​

 

« Je suis persuadé qu’en s’engageant résolument sur ce chemin – du dialogue interreligieux – sans s’épargner les bouleversements intérieurs qu’il provoque, la foi s’approfondit considérablement. » 1

Avant de partir sur les traces de grands témoins du dialogue, je vous propose de prendre le temps de repérer quelques points importants pour le chemin.

Qui dialogue ? Ce ne sont pas, comme on le dit parfois, des religions, mais des hommes et des femmes de toutes religions, au sens où Paul Tillich l’entend : « L’état d’être saisi par une préoccupation ultime qui répond à la question du sens de notre vie ». A chaque religion une vision du monde, une langue différente, nous devons en être conscients.

Différentes formes de dialogue ont été énoncées dans l’un des textes fondateurs « Dialogue et annonce »2 : le dialogue de la vie, des relations quotidiennes ; le dialogue des œuvres, lorsque les croyants agissent ensemble pour le développement humain ; le dialogue des échanges théologiques, qui s’écrit à partir de la relecture de ce qui est vécu et enfin celui des expériences spirituelles, partage des richesses spirituelles. Ces différents dialogues sont liés et s’enrichissent mutuellement. Le dialogue de la vie et des œuvres sont souvent des préalables à toute autre forme de dialogue, car la rencontre est première. Le dialogue des expériences spirituelles est vécu par des moines (Dialogue Interreligieux Monastique), mais aussi par tous les croyants « de base » qui vont à la rencontre de l’autre en vérité, avec tout ce qu’ils sont et en confiance. Et c’est à partir de l’expérience concrète de rencontres et de dialogue que s’écrit la théologie du dialogue interreligieux.

Les difficultés, les défis auxquels le dialogue interreligieux doit faire face sont réels. La peur de l’autre, celui qui nous est étranger (par sa culture, sa religion, sa nationalité…) en fait partie. Pierre Claverie, évêque d’Oran disait que « la présence, la reconnaissance et l’acceptation de la différence, de l’altérité, sont les choses les plus difficiles à vivre pour les personnes et les groupes humains quels qu’ils soient ». Nous pouvons mesurer aujourd’hui l’actualité de ses propos. Pour vivre la rencontre, nous nous appuyons souvent sur nos ressemblances, nos points communs, et c’est une force, mais il nous faut garder à l’esprit combien nous sommes différents, combien l’autre m’est étranger fondamentalement. Cette différence est une richesse pour la rencontre, car « l’autre est peut-être porteur d’une vérité qui me manque » (P. Claverie). Christian de Chergé se pose la question du sens divin de ce qui humainement nous sépare. Dennis Gira parle de « l’ascèse du dialogue »3.

Les conditions du dialogue sont dictées par l’attitude de respect absolu de l’autre croyant et par la confiance dans sa parole sur sa propre foi. « Je sais que je n’aurai jamais accès à la vérité de l’autre par l’étude de ses textes sacrés […] Je n’ai accès à la vérité d’une autre religion qu’à travers la vie et le témoignage des croyants » affirme J. P. Vesco, évêque d’Alger. Ce dialogue demande de prendre le temps que la confiance et même l’amitié puissent naître. La patience et l’humilité sont des conditions nécessaires. La gratuité est indispensable. La démarche de la rencontre interreligieuse doit être absolument désintéressée, exempte de tout calcul, de toute projection. Elle ne peut se faire que si nous avons un rapport sain à la mémoire. « Dans les rencontres peuvent resurgir les vieilles querelles du passé. Il faut savoir ne pas entretenir les rancœurs »4. Il faut noter que cette mémoire est à travailler, en relisant ensemble notre histoire commune.

Les artisans du dialogue oeuvrent à la paix et au vivre-ensemble, mais son fondement est ailleurs, il est dans l’espérance du destin d’unité de la famille humaine dans le cœur de Dieu, cette unité dont parlait Jean-Paul II à Assise. Cette unité est déjà présente, et elle est en devenir. Christian de Chergé affirmait : « Nous sommes ce peuple en marche entre ciel et terre, s’émerveillant de discerner ce devenir de communion dont l’Esprit Saint tisse la trame entre tous les hommes ». C’est dans cette espérance que s’enracine le dialogue interreligieux.
Pierre-François de Béthune, secrétaire du dialogue interreligieux, L’hospitalité sacrée entre les religions, Albin Michel, 2007, p 15.
Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux et Congrégation pour l’évangélisation des peuples, Dialogue et annonce,1991.
Dennis Gira, Le dialogue interreligieux : une perspective chrétienne, Publications Chemin de Dialogue, 2022.
Geneviève Comeau, Le dialogue interreligieux, Editions Fidélité, 2005.<

5. Christian de Chergé, un grand témoin du dialogue

 

« S’il m’arrivait un jour – et ça pourrait être aujourd’hui – d’être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant tous les étrangers vivant en Algérie, j’aimerais que ma communauté, mon Eglise, ma famille, se souviennent que ma vie était DONNEE à Dieu et à ce pays ».

Testament de C. de Chergé. Tibhirine, 1994.

Christian de Chergé a été béatifié le 8 décembre 2018 avec ses frères moines de Tibhirine, Mgr Pierre Claverie et les 19 religieux et religieuses morts en Algérie. Ils sont morts de leur fraternité au-delà des frontières. L’Eglise, par ce geste, reconnaît comme chemin de sainteté leur vie en dialogue avec les musulmans et avec l’islam. Ce sont, nous dit Christian Salenson, des saints « post-conciliaires », ils sont novateurs dans un modèle de sainteté.

Christian de Chergé a vécu en Algérie enfant, avec sa famille. Puis, séminariste, à 22 ans, il est appelé en Algérie pendant la guerre. C’est dans ce contexte qu’il a reçu d’un musulman sa vocation à être moine en Algérie. Il avait noué une amitié profonde avec Mohammed, « amitié qui avait Dieu pour horizon, par-dessus la mêlée », selon ses propres mots. Mohammed sera tué pour avoir voulu protéger Christian. Ce drame sera fondateur pour Christian de Chergé, sa vocation est changée : « J’ai su que mon appel à suivre le Christ aurait à se vivre, tôt ou tard dans le même pays où m’avait été donné le gage d’amour le plus grand ».

La pensée de Christian de Chergé est forte et novatrice. Il ne se considère pas comme un théologien, et ne veut pas quitter le terrain du dialogue existentiel avec les musulmans. Il ne sait pas quelle est la place de l’islam dans le dessein de Dieu, il accepte de ne pas savoir et de se laisser conduire, en prenant le chemin de la rencontre et du dialogue. Pour Christian de Chergé, il faut laisser l’Esprit Saint faire son travail, et ne pas l’enfermer dans des positions théologiques trop étroites.

Le fondement du dialogue, pour Christian de Chergé, est l’espérance d’une unité des chrétiens et des musulmans dans le cœur du Père, « cette communion des saints, œuvre de l’Esprit de Dieu, ne connaît pas les frontières que nous avons vite fait de tracer ». Cette communion des saints est présente aujourd’hui, même si elle reste cachée. Elle est un concept important dans sa pensée.

La vision de l’Eglise par Christian de Chergé est une Eglise rassemblée, accomplie, communauté qui doit incarner la communion des saints. C’est la communion des saints qui éclaire la nature et la mission de l’Eglise : « Cet au-delà de la communion des saints, où chrétiens et musulmans partagent la même joie filiale, il nous revient de le signifier visiblement comme tous les autres mystères du Royaume. Et comment s’y prendre autrement qu’en aimant dès maintenant, gratuitement, ceux qu’un dessein mystérieux de Dieu prépare et sanctifie par la voie de l’Islam » (L’invincible espérance). Le but de la mission est le Royaume de Dieu, dessein de Dieu de réunir tous les hommes.

Les moines de Tibhirine, depuis 1975, se définissaient comme « priants parmi d’autres priants ». Cette dimension essentielle de leur mission était vécue quotidiennement par les moines qui travaillaient et priaient proches de leurs frères musulmans. Le « Ribât-es-Salâm », groupe mixte de rencontre et de prière, était un lieu privilégié. Les membres de la confrérie soufie Alawiya avaient dit aux frères : « Nous nous sentons appelés par Dieu à l’unité. Il nous faut donc laisser Dieu inventer quelque chose de nouveau. Cela ne peut se faire que dans la prière ». Par la prière, prière les uns pour les autres, prière en présence des autres, comme à Assise, le dialogue interreligieux dépasse largement la rencontre visible des autres croyants, c’est peut-être la plus belle manière de participer au dialogue interreligieux.

La place des chrétiens aujourd’hui est sans doute d’être dans ce monde des « priants parmi d’autres priants », faisant ainsi vivre l’esprit de Tibhirine.

Pour aller plus loin : Christian de Chergé. Une théologie de l’espérance Christian Salenson, Bayard. – L’invincible espérance Christian de Chergé, Bayard – L’échelle mystique du dialogue de Christian de Chergé ; Tibhirine 1996-2016 Christian Salenson, Bayard.

6. Les Sept Dormants d’Ephèse ou Gens de la Caverne

Comprends-tu que les hommes de la Caverne et d’al Raqim constituent une merveille parmi nos Signes ? 1

La lecture, ensemble, chrétiens et musulmans, d’un récit comme celui des Sept Dormants aura […] un autre effet qu’intellectuel : le sentiment de réconfort, une impression de véracité. 2
La tradition populaire raconte que, sous l’empereur Dèce (250), pendant les persécutions contre les chrétiens, sept jeunes chrétiens ont fui pour ne pas renier leur foi. Ils ont été emmurés vivants dans une grotte du Mont Célion près d’Ephèse et, selon la tradition islamique, gardés par un chien. Ils se sont réveillés deux siècles plus tard, pensant n’avoir dormi qu’une nuit. Les habitants se sont étonnés et sont montés à la grotte avec leur évêque, Etienne. Là, les jeunes gens, après avoir témoigné, se sont rendormis dans l’attente de la résurrection. Cette tradition est partagée par les chrétiens et les musulmans ; en effet, les Sept Dormants d’Ephèse sont reconnus comme les Gens de la Caverne dont le récit constitue le début de la Sourate XVIII, « La Caverne », l’une des plus populaires du Coran.

Des dizaines de sites liés au culte des Sept Dormants dans les mondes musulmans et chrétiens, du Maghreb à la Chine, en passant par la Russie et les Comores, ainsi que plusieurs centaines de manuscrits latins, grecs, arabes, syriaques témoignent de l’extraordinaire rayonnement de cette tradition. Le culte s’est presque endormi à partir du XVII° siècle. Mais un lieu, mal connu, rassemble aujourd’hui des croyants des deux religions autour de cette tradition : il s’agit de la chapelle des Sept Saints à Vieux-Marché 3, au sud de Lannion.

La Gwerz, poème breton du XIIème siècle, célèbre les Sept Dormants d’Ephèse. Et, depuis bientôt 70 ans, à l’initiative de Louis Massignon, chrétiens et musulmans se retrouvent autour de ce culte. Islamologue, professeur au Collège de France, à la fois savant et mystique, Louis Massignon considérait que les Sept Dormants sont des passeurs entre le christianisme et l’islam.

Les Sept Dormants nous parlent de la condition humaine et du salut, de la foi et du témoignage, de la résurrection. Le symbolisme et la portée spirituelle de cette tradition sont particulièrement riches, aussi bien pour les chrétiens que pour les musulmans. Pour les uns et les autres, les Dormants sont les témoins anticipés de la résurrection des corps.

Témoins, hommes de résistance, ces jeunes gens sont des martyrs de la foi. Dans tous les manuscrits une place centrale est réservée à cette magnifique fidélité à leur foi, malgré leur jeunesse. Salah Stétié disait que ce sont des têtes dures, des hommes du refus, refus de renier leur foi, refus des richesses.

La caverne, la grotte, est un symbole sacré : dans toutes les religions, la grotte, ou la caverne, est matrice, lieu de naissance ou de renaissance. Elle est aussi un lieu de révélation. Dans la grotte, les sens extérieurs se taisent pour que les sens intérieurs puissent se développer. Elle évoque pour nous la prière, l’intériorité, le silence ; elle est aussi ténèbres et nuit. La dormition, la mort comme sommeil dans l’attente de la résurrection : le thème de la survie de l’homme dans le sommeil en attente de la résurrection est profondément ancré dans l’histoire et les religions. Ce long sommeil ‘éveillé’, qui transforme les jeunes gens, évoque pour les chrétiens les paroles de Jésus : Restez éveillés et priez en tout temps : ainsi vous aurez la force d’échapper à tout ce qui doit arriver, et de vous tenir debout devant le Fils de l’homme (Lc 21, 36). En Islam, Dieu berce les Dormants dans leur sommeil, preuve de son infinie compassion et de sa tendresse à l’égard des hommes. Le bercement est aussi le symbole de l’abandon des jeunes gens à la volonté divine, abandon qui est l’essence de l’Islam.

Le culte des Gens de la Caverne, ou Sept Dormants est un patrimoine commun au christianisme et à l’Islam. Par la manière dont son origine est tissée des liens entre les communautés musulmanes et chrétiennes, il s’inscrit dans le dialogue interreligieux.
1 Le Coran, Traduction Denise Masson, Sourate XVIII La caverne, v 9.
2 Ove Ullestad, Les Sept Dormants ou Gens de la Caverne, Saint Léger éditions, 2018, p. 185.
3 Site du Pardon de Vieux-Marché : http://www.septdormants-levieuxmarche.fr/

7. Le pardon des Sept Dormants à Vieux-Marché.


« Nous ne savons rien de Dieu ni de l’homme, hors ce frère en humanité en qui l’Esprit nous donne de voir l’icône de la divinité. Avec lui notre regard peut découvrir, au cœur des ébranlements de ce monde, la naissance d’un monde nouveau qui requiert nos énergies et réveille notre passion de vivre, de créer, d’aimer et de risquer, d’aller avec bonheur à la rencontre de Dieu et des autres. » 1

Vieux-Marché est le seul lieu qui rassemble, aujourd’hui encore, des croyants des deux religions autour de la tradition des Sept Dormants (voir Mouezh n° 162). Louis Massignon a initié ce pèlerinage en 1954, lui qui voyait les Sept Dormants comme un trait d’union mystique entre les peuples et les religions. Grâce à Louis Massignon, et à tous ceux qui reprennent le flambeau après lui, la dimension interreligieuse de ce culte est « réveillée » 2. Tous les ans, le 4ème week-end de juillet (22 et 23 juillet en 2023), musulmans et chrétiens se retrouvent autour de ces Sept Dormants.

Ecoutons Marie-Françoise Quinton, présidente de l’association Source des Sept Dormants : Si la tradition des Sept Dormants rapproche chrétiens et musulmans à Vieux-Marché, des agnostiques et des athées se reconnaissent aussi dans la démarche initiée par Louis Massignon en ce lieu. En 1991, à l’initiative du médecin de Vieux-Marché se reconnaissant agnostique, l’association de la Source des Sept Dormants est créée. Son rôle est d’organiser un colloque, adossé au pardon, où sont abordées des questions d’actualité en lien avec le dialogue interreligieux et interculturel entre chrétiens et musulmans. Tous les participants à ce colloque, venant d’un peu partout en France, ont en commun d’être touchés de près par ce dialogue […] Si d’aventure le désir vous prend de venir au pardon des Sept Saints pour y vivre le dialogue avec l’ « Autre différent », venez avec un(e) de ces autres.

Depuis 70 ans bientôt, ce pardon s’inscrit dans la durée. Il évolue aussi, se réinvente tout en restant fidèle à son héritage comme toute tradition vivante. Depuis quelques années, la communauté musulmane de Lannion y participe activement. L’imam lit et commente la sourate XVII La Caverne, lecture initiée par Louis Massignon. Cette lecture de la sourate, près de la source est un rite important du pardon, elle se fait après l’eucharistie du dimanche.

Un pèlerinage animé par le Collectif « Espoirs » de Lannion rassemble musulmans et chrétiens pour une marche depuis la chapelle du Yaudet jusqu’à Vieux-Marché, durant la journée du samedi. Par cette journée de marche, propice à la rencontre, le pèlerinage qui est randonnée physique, mais aussi voyage intérieur prend une autre dimension. Gersende de Villeneuve, membre du Collectif, nous parle d’Espoirs : Nous vivons à Lannion un fécond dialogue inter-religieux via le Collectif Espoirs. Nous y expérimentons une belle et croissante amitié depuis l’automne 2016. L’initiative de la rencontre revient à la communauté musulmane de Lannion […]. Voici 6 ans que nous avançons ensemble, avec l’envie de mieux comprendre la foi de l’autre, dans un grand respect de nos convictions mutuelles. Ces rencontres nous permettent d’approfondir nos propres fondations.

Son enracinement local, ainsi que la présence plus importante de la communauté musulmane ces dernières années témoignent de la vitalité du pardon. Jean-Jacques Pérennès, pardonneur en 2012, soulignait la richesse et la fragilité du pardon : Prenons soin de ces lieux de rencontre fragiles mais réels où les uns et les autres tentons de faire exister plus de fraternité […] Il faut chérir ces lieux, les protéger, car ils sont comme des oasis de verdure dans un désert où souffle un vent aride.
Donc, n’hésitons pas à mettre nos pas dans ceux des pèlerins vers les Sept Dormants et à vivre la rencontre. Nous écrirons ensemble, les uns avec les autres et les uns par les autres une nouvelle page de cette belle tradition.

Les Sept Dormants d’Ephèse vécurent donc une nouvelle naissance qui est précisément une libération collective. Car ils sont sortis vivants ensemble […] Aujourd’hui, plus que jamais peut-être, 8 milliards d’individus doivent pendre conscience que c’est ensemble qu’ils doivent désirer la lumière, aller de la nuit vers le plein jour et la vie. Ensemble nous voulons grandir à la lumière. (J.F. Bour, pardon 2022).
Site du Pardon des Sept Dormants : http://septdormants-levieuxmarche.fr/

1 Pierre Claverie, Lettres et messages d’Algérie, Karthala, 1996, p 154.
2 Manoël Pénicaud, Le réveil des Sept Dormants. Un pèlerinage islamo-chrétien en Bretagne, Editions du Cerf, 2014.

8. L’héritage de Charles de Foucauld.



« Charles de Foucauld a amorcé un tournant décisif pour la mission de l’Eglise dont le Concile Vatican II marque à la fois la reconnaissance et le dépassement. Il a probablement ouvert un autre paradigme missionnaire ».1

Charles de Foucauld (1858-1916) a été canonisé le 15 mai 2022. Homme à la personnalité complexe, il est officier et explorateur, il devient religieux catholique, puis prêtre. Il peut être considéré comme un des précurseurs du dialogue interreligieux dans la mesure où, bien avant le Concile Vatican II, il a vécu un dialogue de la vie avec des croyants juifs et musulmans et ce dialogue a largement contribué à sa conversion. Louis Massignon et Christian de Chergé seront héritiers de la pensée et de la spiritualité de Charles de Foucauld.


Enfant, Charles de Foucauld veut être militaire. C’est en officier qu’il se découvre une vocation d’explorateur et de géographe. Au cours d’un long voyage au Maroc pour faire des relevés topographiques, accompagné d’un rabbin et se faisant lui-même passer pour un rabbin, il découvre la prière des croyants juifs et musulmans. Ils seront les hôtes d’un musulman qui impressionnera beaucoup Charles de Foucauld : Il fut pour moi l’ami le plus sûr, le plus désintéressé, en deux occasions il risque sa vie pour protéger la mienne. L’Islam le bouleverse profondément : La vue de cette foi, de ces âmes vivant dans la continuelle présence de Dieu, m’a fait entrevoir quelque chose de plus grand et de plus vrai que les occupations mondaines.2


L’itinéraire de Charles de Foucauld passe par la Terre Sainte, où, à Nazareth, il voit ce qu’ont été la pauvreté et l’humilité de Jésus. Après être entré chez les trappistes à Notre Dame des Neiges, puis à la Trappe Notre Dame du Sacré Cœur près d’Alep en Syrie, il revient à Nazareth, chez les clarisses, étape fondamentale dans son itinéraire spirituel. Il écrit en 1897 à sa cousine : Je sers les messes, les bénédictions du Saint-Sacrement ; je balaie, je fais les commissions, je fais tout ce que l’on me dit de faire. […] Je loge dans une cabane en planches hors de la clôture. Il comprend qu’avec le Christ il faut descendre jusqu’à la dernière place. Cette longue recherche de vocation l’amène à Béni-Abbès, dans le Sahara algérien puis dans le Hoggar. Il n’est pas vraiment ermite : On frappe à ma porte au moins dix fois par jour.


Charles de Foucault voulait convertir les musulmans, il voulait aussi fonder une œuvre. Il ne convertira personne, mais il témoignera de l’Evangile par sa bonté, sa « qualité de présence ». Et c’est le « choc » de l’Islam, comme il l’a dit lui-même, qui l’a converti à sa propre foi dont il s’était éloigné. Son parcours de vie nous donne à penser sur ce qu’est la conversion, qui est conversion à Dieu et œuvre de Dieu. Dans l’itinéraire de Charles de Foucauld, on voit que sa vocation au sens de cohérence que prend la vie quand on la regarde à la fin, en plongeant son regard dans celui du Père3, s’est dessinée après des conversions successives. Ce long cheminement l’a amené à renoncer à ses projets, à sa vision de la mission, à s’abandonner à la volonté de Dieu, à choisir la dernière place.


Charles de Foucault qui a été accueilli, sauvé à plusieurs reprises grâce à l’hospitalité des musulmans auprès de qui il vivait, s’est fait frère de tous, frère universel. Il est pour les chrétiens d’aujourd’hui, avant tout ce repère d’une fraternité évangélique, fraternité radicale. Par ce long itinéraire de conversions successives, Charles montre une voie pour les chrétiens d’aujourd’hui et pour l’Eglise. Lui que l’on surnommait le marabout blanc s’est fait frère de tous en s’abandonnant à l’Esprit, toujours en recherche de la dernière place. Cette voie a été reconnue par l’Eglise comme chemin de sainteté.


Nous vivons aujourd’hui, dans notre société sécularisée et plurielle, un peu la même chose que Charles de Foucauld. Les boussoles qu’il nous donne, l’abandon, la dernière place, la fraternité, sont précieuses.


La foi amène le croyant à voir dans l’autre un frère à soutenir et à aimer.4

1Christian Salenson, Témoins de l’à-venir. Charles de Foucauld, Louis Massignon, Christian de Chergé, Pubilcations Chemins de Dialogue, 2021, p 34.

2Cardinal Jean-Marc Aveline Aveline, Charles de Foucauld. Itinéraire de conversions, Publications Chemins de Dialogue, 2022, p 41.

3Cardinal Jean-Marc Aveline, ibid, p 92.


4Pape François, Imam Ahmad Al-Tayyeb, « Déclaration sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune », Abu Dabi, 4 février 2019.

9. La rencontre des religions, une expérience d’hospitalité


« C’est seulement dans la mesure où l’on accorde l’hospitalité à l’autre, dans la mesure où l’on partage avec lui le même travail, le même pain, que l’on prend conscience de la vérité qui unit socialement. On ne trouve la vérité qu’en pratiquant l’hospitalité ». Louis Massignon.

La voie de l’hospitalité est féconde pour comprendre le dialogue interreligieux. Risquer l’hospitalité permet d’aller plus loin sur le chemin de la rencontre avec d’autres croyants. La pratique de l’hospitalité engage la vie et donne au dialogue une dimension nouvelle. Charles de Foucauld et Louis Massignon ont été convertis à leur propre tradition religieuse, dont ils s’étaient éloignés, par l’hospitalité reçue de croyants d’autres traditions religieuses.

L’hospitalité est centrale dans nombre de religions, et souvent elle engage le divin : ce serait toujours un envoyé de Dieu ou Dieu lui-même qui est reçu.


Pour les juifs, les ancêtres sont considérés comme des nomades et des migrants, ils se définissent eux-mêmes comme étrangers : Yahvé, prête l’oreille à mon cri […] car je suis étranger chez toi, un passant comme tous mes pères (Ps 39/38) L’Ancien Testament insiste à de nombreuses reprises sur le devoir d’hospitalité : Aimez l’étranger car au pays d’Egypte vous fûtes des étrangers (Dt 10, 19) . En islam un hôte de passage est une baraka, une bénédiction, et un hadith (propos attribué au prophète Muhammad) affirme : Une maison où il n’entre pas d’hôtes ne sera pas fréquentée par les anges . P. F. de Béthune, bénédictin, a pratiqué le Dialogue Interreligieux Monastique avec des moines bouddhistes zen au Japon (cf photo). Pour lui, la cérémonie du thé (Chado) exprime l’accueil le plus fondamental. C’est une démarche d’hospitalité qui récapitule toutes les formes de rencontres. Dans l’Evangile, l’hospitalité est emblématique de toutes les rencontres de Jésus et de son enseignement : Venez, les bénis de mon Père, car […] j’étais un étranger et vous m’avez accueilli (Mt 25,35). Au chêne de Mambré (Gn 18, 1-15), Abraham fait preuve d’une hospitalité qui est gratuité, respect, empressement et conscience d’accueillir le Seigneur lui-même, geste qui reste un modèle de l’accueil de l’étranger, celui que l’on ne connaît pas.



Nous devons alors nous poser la question de la dimension de cette hospitalité « sacrée » : est-elle seulement un devoir pour que les hommes arrivent à une cohabitation pacifique, ou bien nous dit-elle quelque chose d’essentiel sur Dieu ? Cette hospitalité, geste sacré, est un geste de mise à égalité, elle n’est pas naïveté ni inconscience, mais un acte éthique car il implique l’articulation entre ma liberté et celle de l’autre, entre ma quête du bonheur et celle de mon voisin. Elle refuse toute assimilation, elle respecte les différences. Elle concerne notre manière d’habiter le monde. Aujourd’hui, l’hospitalité interroge sur de nombreux points qui vont de l’accueil des migrants et de tous ceux qui nous sont éloignés, à la manière de faire place au point de vue de l’autre. Penser son altérité en même temps que sa solidarité profonde avec les autres manières de penser et de vivre devient une urgence.


N’oublions pas le conseil du Christ à ses disciples de commencer par solliciter l’hospitalité (Lc 10, 1-12). Pour savoir vraiment accueillir, il faut être capable de se laisser accueillir. Être, comme le Christ, dans la situation de celui qui demande l’asile ou qui quémande l’hospitalité. Savons-nous encore solliciter l’hospitalité ? Comme l’ont vécu Charles de Foucauld et Louis Massignon, c’est lorsque l’on bénéficie d’une hospitalité offerte gracieusement, non méritée, que l’on pénètre dans le mystère de l’hospitalité.


Se laisser accueillir par l’autre, c’est s’ouvrir à sa culture, ses centres d’intérêt et accepter de recevoir quelque chose de lui. C’est être démuni et désarmé, et aussi faire une place chez soi à sa pensée. Nous le voyons, l’hospitalité nous emmène loin, c’est même un grand défi pour nous, et quelque part une autre façon d’habiter le monde.


Une telle démarche est très exigeante : elle consiste à quitter notre propre territoire, à passer une frontière, pour entrer dans le domaine de notre hôte et à nous exposer en quelque sorte à son bon vouloir. (P.F . de Béthune)

1 Pierre-François de Béthune, L’hospitalité sacrée entre les religions, Albin Michel, 2007.
2 DIM : organisation qui encourage le dialogue au niveau de l’expérience et de la pratique religieuse entre moines et moniales chrétiens et adeptes d’autres tradi- tions( https://dimmid.org )
3 Claudio Monge et Gilles Routhier, Oser l’hospitalité à l’école de Pierre Claverie et Christian de Chergé, Bayard, 2019.
4 Claudio Monge et Gilles Routhier, ibid.

10. titre

1 Pierre Claverie, Lettres et messages d’Algérie, Karthala, 1996, p 154.
2 Manoël Pénicaud, Le réveil des Sept Dormants. Un pèlerinage islamo-chrétien en Bretagne, Editions du Cerf, 2014.

11. titre

1 Pierre Claverie, Lettres et messages d’Algérie, Karthala, 1996, p 154.
2 Manoël Pénicaud, Le réveil des Sept Dormants. Un pèlerinage islamo-chrétien en Bretagne, Editions du Cerf, 2014.

12. titre

1 Pierre Claverie, Lettres et messages d’Algérie, Karthala, 1996, p 154.
2 Manoël Pénicaud, Le réveil des Sept Dormants. Un pèlerinage islamo-chrétien en Bretagne, Editions du Cerf, 2014.